magda1-interviewENTREVUE AVEC MAGDA MORACZEWSKA ARTISTE 19-10-2014

Gregg – Tout d’abord, pourriez-vous nos décrire votre cheminement d’artiste ?

Magda – je crée des images depuis toujours, oui depuis bien avant les beaux-arts, dessin peinture et gravure … j’ai beaucoup exposé – d’abord il s’agissait de collages sur papier ensuite sur toile des objets en volume en papier mâché plus tard j’ai rencontré la poudre de marbre … j’ai toujours besoin d’une matière palpable et présente … c’est par-dessus que je dessine au pinceau ou au doigt … un cheminement ? depuis toujours clarifier et transcrire ma vision double et retrouver le dessin dans la matière

magda-interviewGregg –  Votre dernière exposition a pour thème – Dédoublements que vouliez raconter comme récit ?

Magda – ce que je raconte ? en fait ce ne serait pas un récit mais un dialogue – d’ailleurs on peut poser la question autrement … que s’est-il passé entre le projet (assez ancien) et sa réalisation ?
le fait de voir double … une particularité physique de ma vision m’a acheminée vers un questionnement allant au-delà de la physiologie – un questionnement sur le Double …
une sorte de présence intérieure, cet Autre que nous portons tous en soi de manière passagère ou constante … un dialogue intérieur m’accompagne d’ailleurs depuis toujours … il s’est instauré également un dialogue entre quelques personnes m’étant proches et mon propos lors de la réalisation des travaux … et puis bien sûr entre moi et le regardeur

Gregg –  Dans vos derniers projets… soit vos « Carnet doubles de »… « les doubles vues »… entre autres, le thème Double, est très présent, est-ce que Magda; artiste est un dédoublement de Magda, la femme ?

Magda – non je ne fais pas la différence entre les « rôles sociaux » prédéfinis et je ne me sens ni découpée ni scindée – il n’y a ni peau ni masque – dédoublée et unique je m’y retrouve (Magda est toujours et femme et artiste à la fois)
je sais m’observer et j’adore le faire comme le dit bien une des photographies de Kolya San présentées à mon expo tout comme je suis pleinement dans ce que je fais … c’est complexe et dense
à partir d’un flux qui me porte je vais tout au fond pour au final rencontrer … l’Autre oui c’est du brut du schizophrène et du délirant et du très civilisé à la fois … voire du cultivé
magda2-interviewGregg – Vous avez déjà dit que vous aimeriez être très connue… qui recherche ça, l’artiste, la femme ?

Magda – je dirais faisons juste attention de ne pas confondre la cause et l’effet dans le sens où tout artiste aime à se montrer – me faire connaître est donc important mais aussi normal d’ailleurs il ne faudrait pas mélanger non plus célèbre et connu …

Gregg – Dans votre exposition – Dédoublements – vous aviez deux invités l’auteur Laurent Herrou et le photographe, Kolya San… parlez-nous de votre rencontre avec eux ?

Magda – il existe des personnes particulières face à qui au bout de la première rencontre j’ai l’impression de les avoir toujours connues … j’aime ce type de rencontre … nous avons déjà exposé ensemble Kolya et moi en mois de juin chez Corinne Glass
le pourquoi de mon invitation ? une affinité naturelle … dans la lignée des projets futurs … l’idée de la série schizophrénique de Kolya est venue tout naturellement
et pour Laurent ? c’est à l’expo en juin que je l’ai connu (invité par Kolya il faisait une lecture du Vice de Forme) son questionnement sur la double identité masculine/féminine dans son texte Nina Myers m’intéresse énormément – Nina s’est inscrite dans le thème Dédoublements de manière évidente … la double lecture (sur deux séances) du texte m’a incitée à créer les « carnets de Nina » un livre de croquis basé sur le principe de l’écriture automatique …
par ailleurs à partir d’une phrase de Laurent j’ai conçu un livre de 7 gravures/monotypes originales intitulé TRAIT(RE)S, présenté également à l’expo.
nous-interwievGregg –  Que retenez-vous de ces rencontres ?

Magda – eh bien en fait … TOUT – le meilleur et le pire …

Gregg – Comment vos visiteurs ont accueilli votre exposition?

Magda – beaucoup d’intérêt et de curiosité surtout pas rapport au titre de l’expo – Dédoublements … visiblement (et je le savais déjà) c’est une thématique qui touche qui questionne et j’en suis ravie ! les réactions des gens m’intéressent au plus haut point … une réponse en mots à une question posée en images vous imaginez ! c’est magique …

Gregg – Un commentaire qui vous a surpris?

Magda – « c’est perturbé ça ! je reviens avec ma femme et nous regarderons tout à deux »

Gregg – Niki de Saint Phalle, aurais aimé dépasser le projet de Cathédrale de Gaudi, en proposant sa « Femme cathédrale » quelle serait l’artiste que voudriez confronter dans un projet artistique?

Magda – j’ai mes références oui mais je ne suis pas dans la logique de faire « mieux que … »… à moins de me confronter à moi-même d’il y a quelques années … un Dédoublement par excellence

Gregg – Vous aimez bien la peinture, la gravure, l’écrit et le dessin, si vous deviez choisir une seule discipline, laquelle choisiriez-vous et pourquoi?

Magda – « j’aime bien » ? c’est un peu toute ma vie oui .. un choix ? heureusement ce n’est qu’une question théorique ! et qu’elle ne se pose pas vraiment n’est-ce-pas ?

 

 

Pour compléter l’article, j’ai invité à mon tour l’auteur Laurent Herrou et l’artiste kOLya San à nous écrire un mot sur  leur rencontre avec Magda…

 

kolya-interwiev

 

Kolya San

… évoquer Magda Moraczewska

Vous parlez de notre rencontre, un soir d’hiver dans un théâtre parisien, une amie commune nous a présenté ce soir-là. Pendant la pièce assez mauvaise, Magda était assise derrière moi, et je suis persuadé qu’elle est restée jusqu’à la fin de la pièce parce que j’étais là … et moi je suis resté jusqu’au bout pour la même raison.

De là, la relation s’est posée (imposée) toute seule … comme une évidence … nous nous sommes revus, j’ai posé pour elle, elle a posé pour moi, nous avons exposé ensemble … j’ai petit à petit abordé son travail … son expression … (elle).

Magda Moraczewska … son travail est fascinant, au-delà de l’aspect technique (poudre de marbre – bleu outremer), une forme très structurée et pourtant très libre de dialogue intérieur … tout en s’adressant à l’autre … des zones d’ombres, des zones de rêves, des zones flous qui viennent (me) raconter des histoires … intenses.

Résumer l’artiste, la femme, m’est difficile en quelques lignes … mais j’ai envie de citer Tadeusz Różewicz : « être éphémère je suis des yeux » … et ceux de Magda voient DOUBLE.

kOLya San – octobre 2014

 

laurent-interview

 

Laurent Herrou

Magda a commandé un café viennois, je buvais un verre de vin blanc, c’était il y a quelques mois sur une terrasse parisienne. Il faisait beau, c’était encore l’été — un été précoce, qui se ferait cruellement désirer ensuite, brouillant les pistes. Le serveur a apporté la boisson, sur laquelle trônait de la chantilly et de la poudre de cacao. Magda a demandé ce que c’était, le garçon a répondu : un chocolat viennois, comme vous me l’avez commandé. Magda a corrigé : je vous ai commandé un café viennois, et avant que le serveur n’intervienne, elle a expliqué qu’elle était allergique au chocolat.

Il n’en faut parfois pas davantage pour initier une complicité.

Dans la version originale du texte que Magda m’a demandé pour le projet que nous aurions en commun, l’erreur du serveur signait son exécution.

Le serveur s’est excusé, a rapporté le chocolat en cuisine, il est revenu avec un café viennois. Nous avons payé — devant nous, des clients américains eux s’étaient enfuis, confirmant ce que la rencontre avec Magda laissait présager : il y a des traîtres parmi nous.

Nous nous sommes rencontrés à une lecture, Magda Moraczewska et moi, et c’est une lecture qu’elle m’a proposée autour de sa future exposition. Il y serait question de dédoublement. Son travail polymorphe, j’en avais déjà été témoin lors de la première lecture à la galerie Corinne Glass en juin : tandis que je saignais sur scène, Magda décochait des traits sur un iPhone qui me fixaient, papillon de collection, m’achevaient. Dans son regard acier, il y avait une curiosité d’entomologiste. Ce que je représentais à ses yeux, je n’en avais pas idée. Simplement cela : il y avait un écho, là, présent, qu’elle invitait à se manifester à nouveau quelques mois plus tard. Magda présenterait des toiles anciennes, et des gravures plus récentes, les unes miroirs des autres comme je serais lors de cette exposition-là, à la galerie L11, dans le 18ème arrondissement de Paris, miroir de moi-même.

Magda porte des lunettes larges, qu’elle met et enlève à loisir, sans souci de la lumière qui l’entoure. Elle a un défaut de la vision, qu’elle confesse parfois, qui explique en partie son travail, mais ne le rationalise pas. Magda est une artiste, et ce n’est pas une pathologie unique qui fait de soi un artiste : au mieux cela le complète-t-il, l’enrichit parfois. Elle est allergique au chocolat et son regard acier signe l’arrêt de mort des serveurs parisiens. Elle boit doucement son café viennois, je visse impassiblement le silencieux sous la table. Magda se lève, je fais signe au garçon de café, lui tends les pièces et l’abats dans le même geste avant que sa main n’ait eu le temps de se refermer sur l’argent. Les pièces roulent au sol. Devant nous, à la rangée de tables antérieure à la nôtre, des touristes américains se sont enfuis sans payer.

Ce n’est pas notre cas. Magda Moraczewska paye au quotidien sa dette à l’humanité.

Retirez vos lunettes et ouvrez les yeux avant qu’il ne soit trop tard.

Laurent Herrou , octobre 2014

 

TRAIT(RE)S – gravures : Magda Moraczewska, texte : Laurent Herrou
Tirage limité et numéroté, eau forte, pointe sèche et monotype sur Hahnemuhle 300g – format 30 x 30

Photographie(s) Magda Moraczewska Série Schizophrénique – 2014 – © kOLya San
autoportraits – 2014 – © kOLya San
le portrait de Laurent Herrou est également de © kOLya San – 2014

Kolya San
Laurent Herrou
espace Gregg

 

 

Pin It on Pinterest

Share This